Âge, maladie, génétique, mode de vie, environnement, qualité du sperme : l’infertilité est un problème souvent multifactoriel et parfois mystérieux, contre lequel il n’existe pas de solution magique. Interview d’Isabelle Streuli, responsable de l’Unité de médecine de la reproduction des HUG.
Par Bertrand Beauté
Crédit photo : Nicolas Righetti, Lundi13
Considérée par l’OMS comme un « problème sanitaire majeur », l’infertilité inquiète de plus en plus à mesure que les taux de natalité chutent dans les pays occidentaux. En Suisse, environ un adulte sur six connaît des difficultés à avoir un enfant au cours de sa vie. Y a-t-il péril en la demeure ? L’avis de la doctoresse Isabelle Streuli, médecin adjointe responsable de l’Unité de médecine de la reproduction et d’endocrinologie gynécologique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Les problèmes d’infertilité augmentent dans le monde. Pourquoi ?
Plusieurs éléments sont à prendre en compte dans les problèmes de fertilité qu’un couple peut rencontrer, mais l’âge de la femme reste le facteur le plus déterminant, parce que la quantité et la qualité des ovocytes chutent drastiquement à mesure que les années passent. Or les femmes décident de faire des enfants de plus en plus tard, ce qui, mathématiquement, fait progresser le risque de rencontrer des difficultés à obtenir une grossesse. Après 40 ans, le risque d’infertilité chez la femme – défini comme l’absence de grossesse après douze mois de rapports sexuels réguliers et non protégés – est multiplié par 6.
Ne fait-on pas peser trop de poids sur les épaules des femmes en considérant leur âge comme le principal risque d’infertilité ?
L’âge des hommes joue également un rôle, mais il est moindre. Cela étant, l’infertilité est dans la plupart des cas le résultat d’une accumulation de plusieurs petits facteurs qui touchent aussi bien l’homme que la femme et qui, additionnés, aboutissent à une baisse des chances de grossesse. Globalement, on constate qu’environ 30% des cas d’infertilité dans un couple sont liés à la femme, 30% à l’homme, 20% aux deux. Les femmes ne sont donc pas les seules responsables ! Les 20% restants correspondent à des problèmes d’infertilité dont les causes n’ont pu être identifiées, ce qui est très difficile à accepter pour les couples concernés. Ils souhaitent avoir une réponse claire à leur problème et nous ne pouvons pas toujours leur en fournir une.
Lorsqu’elles sont identifiées, quelles sont les principales causes de l’infertilité ?
Chez la femme, l’infertilité peut être causée par des troubles de l’ovulation, des lésions des trompes de Fallope, des maladies comme l’endométriose ou encore être associée à des problèmes d’ordre sexologique comme l’impossibilité d’avoir des rapports sexuels. Chez les hommes, ce sera une baisse de la quantité ou de la mobilité des spermatozoïdes.
Mais il est important de noter qu’infertilité ne signifie pas forcément stérilité, parce que la fertilité varie naturellement au cours du temps. Le nombre de spermatozoïdes dans le sperme fluctue. De même, l’ovulation peut être inconstante et ne survient pas toujours au même moment du cycle menstruel.
Après une année, environ 15% des couples n’arrivent pas à procréer naturellement et sont donc considérés comme infertiles. En essayant une deuxième année, sans rien faire de particulier, ce chiffre descend à 7%. Une partie des couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfant naturellement finiraient par y parvenir dans les années suivantes s’ils persistaient, c’est pourquoi les Anglo-Saxons parlent de subfertility et non d’infertilité. Néanmoins, la difficulté à obtenir une grossesse est une souffrance psychologique majeure pour ceux qui y sont confrontés, avec un impact important sur le couple et sa sexualité, d’où l’importance des consultations médicales dédiées.
Plusieurs études épidémiologiques ont montré que la concentration de gamètes dans le sperme avait chuté ces cinquante dernières années, passant de plus de 100 millions de spermatozoïdes par millilitre dans les années 1970 à moins de 50 millions aujourd’hui. Quelles sont les causes de cette baisse ?
Les causes restent largement méconnues, même si les scientifiques suspectent un lien avec l’exposition à des molécules chimiques, en particulier les perturbateurs endocriniens. Cette chute est inquiétante parce qu’on ne sait pas quand elle va s’arrêter. Néanmoins, en termes de fertilité, on reste au-dessus du seuil fixé par l’OMS, à 20 millions de spermatozoïdes par millilitre.
De nombreuses apps et autres tests d’ovulation à faire à la maison sont commercialisés. Aident-ils vraiment les couples à procréer ?
Les applications sont très utilisées par les couples afin de déterminer la période la plus fertile, mais aucune étude scientifique n’est venue prouver qu’elles étaient efficaces. Elles possèdent par ailleurs toutes un algorithme différent, et je pense que certaines fonctionnent bien avec les femmes parfaitement réglées. Mais ce sont celles qui en ont le moins besoin. Quant aux tests urinaires d’ovulation, ils améliorent les chances de grossesse pour les femmes de moins de 40 ans qui ne sont pas infertiles. Il s’agit, là encore, de celles qui en ont le moins besoin.
Quelles solutions proposent les services de procréation médicalement assistée (PMA) ?
Nous allons dans un premier temps chercher les causes de l’infertilité puis, en fonction du diagnostic, proposer des solutions adaptées. On préconise comme première mesure une adaptation du mode de vie, puisque des facteurs comme l’obésité, l’exposition à des toxiques (tabac, alcool) ou encore la pratique d’un sport en excès peut avoir un impact délétère sur les chances d’obtenir une grossesse. On proposera ensuite des traitements médicaux. Dans certains cas d’endométriose ou de déformation de la cavité utérine par des myomes, nous pouvons recourir à la chirurgie.
En cas de trouble de l’ovulation, il est possible d’administrer un traitement hormonal, associé ou non à une insémination artificielle, pour autant qu’il n’y ait pas de troubles sévères du spermogramme. Dans de nombreuses situations, notamment en cas de lésions des trompes, d’endométriose sévère ou de troubles masculins sévères, on se tournera vers une fécondation in vitro. Le don de sperme est une option envisageable en cas de troubles masculins sévères, notamment en l’absence de spermatozoïdes.
Quelles sont les principales innovations en matière de PMA depuis la première FIV en 1978 ?
Elles sont nombreuses. Apparue dans les années 1990, l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) a permis aux hommes souffrant d’oligoasthénospermie majeure, un très faible pouvoir fécondant des spermatozoïdes, de recourir avec leur compagne à la FIV. Le diagnostic préimplantatoire des maladies (DPI-M), qui est autorisé en Suisse depuis 2017, permet quant à lui d’éviter à des couples atteints ou porteurs d’une maladie génétique rare et grave de la transmettre à leur enfant. Le DPI-A, diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (anomalies du nombre de chromosomes) s’adresse aux couples qui font une FIV et permet de ne replacer dans l’utérus que les embryons qui ont un nombre de chromosomes adéquat, offrant de meilleures chances de grossesse et une réduction du risque de fausses-couches.
Depuis l’autorisation du DPI en Suisse, nous observons une forte demande pour ce traitement. La préservation de la fertilité (cryoconservation des gamètes) est également en plein essor. Dans ce domaine, la vitrification, qui consiste à plonger les ovocytes directement dans l’azote liquide à −196 °C et permet donc un refroidissement très rapide, a été une grande innovation puisqu’elle donne de meilleurs résultats que la cryoconservation lente utilisée par le passé.
Au cours des prochaines années, plusieurs autres innovations pourraient améliorer la prise en charge des patients, notamment le DPI non invasif. Il s’agit de pratiquer l’analyse génétique sur le liquide folliculaire, plutôt que de prélever des cellules de l’embryon. On observe par ailleurs une robotisation et une automatisation toujours plus accrues des techniques de PMA.
En Suisse, le recours à la FIV plafonne depuis 2010 avec, en moyenne, 2000 naissances par an. Pourquoi ?
À la différence de la stimulation hormonale ou de l’insémination artificielle, la FIV n’est pas prise en charge par l’assurance maladie obligatoire en Suisse. La limite est là. Certains couples n’ont simplement pas les moyens de s’offrir ce traitement, sachant qu’il est relativement onéreux et qu’il faut souvent recourir à plusieurs cycles de FIV avant d’obtenir une grossesse.
Certains couples décident de partir à l’étranger où les FIV sont beaucoup moins chères…
Il faut se méfier des prix annoncés sur les sites internet, parce qu’on ne sait pas toujours ce qui est compris ou non. Souvent, la facture s’envole, après coup, avec tous les tests et médicaments qui sont rajoutés. Mais il est vrai que la FIV coûte plus cher en Suisse, parce qu’il s’agit d’un traitement complexe qui fait intervenir de nombreux spécialistes à l’hôpital et au laboratoire, et que les salaires sont plus élevés ici.
Les patients vont aussi chercher à l’étranger des traitements non autorisés en Suisse comme les FIV avec don d’ovocyte et la gestation pour autrui… Que pensez-vous de cet exil procréatif ?
Dans certains pays, la fertilité est devenue un grand business avec des centres de procréation médicalement assistée à visée purement commerciale. Les patients sont parfois otages de ce système parce que lorsqu’on a commencé un traitement pour devenir parent, il s’avère très difficile de s’arrêter avant d’avoir effectivement obtenu une grossesse. Cela pousse certains patients à multiplier les essais de FIV et à s’endetter. Face à cela, nous essayons de conserver notre rôle de médecin. Nous discutons avec les patients et nous leur présentons toutes les possibilités. Si, par exemple, une femme a besoin d’un don d’ovule pour réaliser son désir de grossesse, nous l’informons que ce n’est pas possible en Suisse, mais que cette technique est accessible ailleurs. C’est différent en ce qui concerne la gestation pour autrui (GPA). La loi suisse est beaucoup plus restrictive et prévoit des peines d’emprisonnement pour les intermédiaires. Nous ne pouvons donc pas conseiller à nos patients de recourir à une GPA à l’étranger.